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« Le monde est fatigué » Joseph Incardona – Ed. Finitude, août 2025

Êve, avec un accent circonflexe, n’est pas son vrai nom. Mais elle a décidé qu’il conviendrait mieux, parce que dans rêve, il y a Êve. Rêve ou cauchemar ? À défaut, elle a choisi le rêve pour toucher à sa réalité. Comme toujours avec Joseph Incardona l’ironie joue avec le sarcasme, le drame appelle la dérision, l’utopie trompe le convenu. Et dans son dernier livre, le monde est fatigué, épuisé par le carnaval des hypocrites. Êve la sirène vend une chose dont elle ne dispose plus : le rêve d’un monde insouciant, léger, en apesanteur. Car on lui a fait du mal. Beaucoup de mal.

On l’a dépossédée de son humanité et depuis, l’utopie de sa vie reconstituée dans un corps recomposé est sans issue. Seul le chemin la menant à ceux qui l’ont détruite guide ses pas. Sa queue en silicone et ses exceptionnelles facultés d’apnéiste font d’elle une attraction recherchée. D’aquariums en quête d’animations spectaculaires en représentations privées pour des gosses de riches dont les parents cherchent à leur faire sortie la tête de l’écran davantage que 30 secondes, Êve la sirène est capable d’arabesques en eaux profondes, de faire croire qu’elle s’est assoupie par 10 mètres de fond, puis d’envoyer de souriants bisous-bulles à son public. Le succès est assuré et Êve parcourt ainsi la planète, de Genève à Tokyo et de Brisbane à Dubaï. Des étapes dont le lecteur découvrira tout le sens au fil des pages, comme le promet votre fidèle rubrique.

Certainement l’un des meilleurs livres de l’auteur genevois, « Le monde est fatigué », avec son rythme et son langage très cinématographique, se dévore avec une ferveur complice. Avec sa description sans concession des outrages et autres petites (et grandes) vilenies dont sont capables bien des super-nantis, l’histoire d’Êve, la chimère aquatique, rend grâce à sa vie cabossée lors d’un final pour le moins halluciné, délirant et un peu honteusement jubilatoire !